En 2019, les jeunes chanteuses coréennes Sulli et Hara Goo, toutes deux victimes de cyber-harcèlement, se sont suicidées à quelques semaines d’intervalle[1]. Les suicides en série de ces deux stars de la K-Pop ont questionné la société coréenne concernant les risques de syndromes dépressifs et la responsabilité des réseaux sociaux. De nombreux médias coréens ont rapporté leur décès, en faisant appel à la moralité des utilisateurs anonymes sur Internet ou en citant le risque de dépression. En effet, les deux musiciennes ont posté avant leur décès des messages témoignant de la souffrance engendrée par le cyber-harcèlement. C’est ce qu’une enquête post-mortem a révélé [2].
Chaque fois qu'une telle tragédie se produit, les médias le font passer pour un problème psychique ou un accident de la vie d'une personne spécifique, en occultant la cause réelle liée au mécanisme social. Alors que ces accidents ne sont traités qu'en termes d’éthique comportementale des internautes et de santé mentale, les considérations sur la corruption endémique profondément ancrée dans le mécanisme d'exploitation des femmes par l'industrie de la K-Pop restent négligées.
Pourquoi le milieu de la musique populaire coréenne tolère-t-il tacitement la souffrance des filles de la K-Pop sous le regard voyeuriste d’un public machiste, qui prévaut dans ce rapport de force en tant que consommateur de « produits », les artistes eux-mêmes et leur corps devenant des produits. C'est parce que la K-pop ne s’affiche pas uniquement comme musique, mais également comme une industrie entièrement gérée par le système capitaliste. C’est pourquoi, il me semble important de montrer un système de production vampirisant qui a pour but principal, la commercialisation de la création en tant que produit de consommation. Mais notons que toutes les musiques pop coréennes ne sont pas appelées « K-Pop ». Comme partout ailleurs, il existe aussi des musiques pop coréennes extérieures à ce réseau commercial. La pop, non celle des idoles habillées comme Barbie et Ken dansant sur un son d’électro, existe aussi en Corée. Si toutes ces musiques populaires coréennes ne sont pas de la K-Pop, alors qu’est-ce que la « K-Pop » ?
Le terme de « K-Pop » a été inventé à l'étranger et signifie une musique de « dance floor » occidentale basée sur l’Idole. Il s'agit d'une sorte de produit de musique populaire coréenne, dédiée aux marchés internationaux dans les années 1990[3]. Ainsi la K-Pop est une musique entièrement conçue comme un produit. Malgré le processus de production souvent introduit d'une manière dramatique dans laquelle les artistes réalisent leur identité à travers la musique, en réalité, le mécanisme de cette industrie utilise et exploite les motivations de l'artiste afin de créer des produits rentables.
À cet égard, la situation des musiciennes souvent mineures de l'industrie de la K-Pop ne se limite pas à des problèmes apparents tels que les heures supplémentaires ou les « contrats esclavagistes ». Cela amène à se poser la question comment les producteur.ice.s de K-Pop conçoivent un groupe de filles et le présentent au public, et comment ce public le consomme. Alors même que BTS, un groupe d'idoles masculines K-Pop créé dans les mêmes conditions, prononce un discours contre la violence à l'ONU, on entend parler en même temps du suicide d'une idole féminine. Les filles, dans l’obligation de porter un sourire éclatant, d’être jeunes, sveltes et en bonne santé, sont facilement haïes dès qu'elles s'écartent de l'image attendue par le public.
En regardant cette réalité, nous soulevons certaines questions. Comment le marché capitaliste coréen exploite-t-il les filles dans la K-Pop ? Comment cette commercialisation fonctionne-t-elle avec les fans ? Peut-on mettre en rapport la misogynie et l’idolâtrie de la femme ?
Nous allons donc étudier ces questions non seulement sous l'aspect musical, mais aussi sous l'aspect socioculturel en considérant l'impact du capitalisme sur l'art. En premier lieu, je vais tenter d’exposer l'arrière-plan de la production des groupes K-Pop, puis je proposerai une analyse de la conscience sexuelle déformée qui se produit avec l'imitation des idoles par les fans de K-Pop. Et pour finir, je discuterai du phénomène de la misogynie résultant du fétichisme.
I. La génération de K-Pop filles
L’ampleur de l’industrie de la K-Pop et les K-girls sur YouTube
Une nouvelle vague qui s’appelle la K-Pop est apparue dans les années 1990, lorsque la musique populaire coréenne s’est lancée sur le marché mondial. Aujourd’hui, l'industrie de la K-Pop atteint 5,7 milliards de dollars américains[4]. Même si la K-Pop ne représente que 6,2% du marché mondial de la musique, mais en termes de revenus, elle est suffisamment influente pour conserver la 6e place après le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France[5]. La chaîne de musique américaine MTV a lancé la catégorie K-Pop aux Video Music Awards en 2019, et Billboard, un magazine de musique américain, classe actuellement la K-Pop comme un nouveau genre et diffuse ses actualités. Le magazine Time a désigné BTS comme une des 100 personnalités les plus influentes de 2019, en citant « Les jeunes hommes qui croient que la musique est plus forte que les barrières de la langue », et récemment, la chanson « How You Like That » de BLACKPINK a battu le record du clip le plus visionné en 24 heures sur YouTube[6].
La promotion via YouTube et les réseaux sociaux apparaît comme l'une des stratégies principales de la K-Pop. Lorsque le marché de la musique pop occidentale rencontre des difficultés en raison de la diffusion des sources de musique sur Internet, la K-Pop utilise paradoxalement ce changement comme stratégie promotionnelle pour former un fandom mondial[7]. En 2010, SNSD (Girls' Generation), un K-Pop Girl-group, a formé des dizaines de milliers de fans japonais uniquement en se promouvant sur YouTube et sur les réseaux sociaux, sans stratégie de localisation distincte pour le marché japonais. Les 22 000 fans ont afflué au premier concert de SNSD au Japon[8].
La diffusion sur les réseaux sociaux est une caractéristique importante de la culture K-Pop. La façon dont le public apprécie la K-Pop n'est pas seulement de « regarder » à la télévision, mais de « communiquer » en temps réel via Internet. Il.elle.s accèdent facilement aux clips vidéo via leurs appareils mobiles, réagissent immédiatement par des commentaires en les partageant sur les réseaux sociaux.
De ce point de vue, il faut éclaircir la tragédie de ces deux jeunes chanteuses, Sulli et Hara Goo. En effet, les adeptes de K-Pop n’achètent pas seulement de la musique, mais également les images véhiculées par les musicien.ne.s à l'écran artificiellement et délibérément exagérées pour répondre au désir des consommateurs. À cause du pouvoir de la consommation, les êtres humains qui y existaient effectivement disparaissent et il ne reste que l'image stéréotypée de l'idole féminine. Les chanteuses s'inquiètent de savoir si leurs activités musicales réalisent leurs rêves avec leur propre volonté, ou si même leur désir profond ne serait pas guidé par celui des autres. Lisa[9], une des membres de BLACKPINK, un Girl-group au succès mondial, témoigne dans le film documentaire « BLACKPINK : Light Up the Sky (2020) » :
« Je me souviens encore de la première fois où je suis rentrée en Thaïlande. Les jeunes thaïlandaises disent : Je veux être comme Lisa....Mais à ce moment-là, je n’étais pas sûre d’être à la hauteur pour être leur modèle. Je suis chanteuse, mais…. Quel genre de chanteuse je voulais être ? J’ai perdu mes repères. Je me cherchais. Pouvais-je devenir leur modèle ? Comment ne pas les décevoir ? »[10]
Agence : la fabrique des filles de nos rêves
« Nous sommes des filles qui rêvent... » C'est un extrait des paroles de « Pick Me », une chanson du générique de l'émission de variété PRODUCE 101 diffusée en 2016 sur Mnet, une chaîne de télévision de musique populaire coréenne. Il s'agit d’un concours de danse et de chant avec 101 jeunes filles qui rêvent de devenir des stars. Avec sa popularité exponentielle, cette émission a été produite en quatre saisons, de 2016 à 2019. Les gagnantes de ces concours sont devenues des vedettes. Ainsi depuis le début de ces auditions, elles ont décuplé les retombées économiques et ont changé le paysage de l'industrie K-Pop. De ce fait, l’intervention des producteurs et des agences dans ce programme a créé des problématiques sociétales.[11]
Il faut noter ici que l'image de Star, rêvée par les candidates de cette compétition, est en fait un rêve socialement forcé. Il semblerait au premier abord que ce soient les filles qui rêvent de devenir des stars, mais en réalité ce sont plutôt les projections des rêves des consommateurs qui engendrent le succès de cette émission. L'audition montre une image de fille remportant la compétition et gravissant les échelons de la célébrité, mais en réalité, un phénomène contraire se produit : les filles deviennent des objets à regarder et elles transmettent le pouvoir au public de voir, apprécier et évaluer leur image. Avec cette politique de voyeurisme, ces 101 filles aspirant toutes à la célébrité deviennent de simples objets passifs exposés, donnés en pâture au regard du public. Dans ce cadre, le rêve de succès se transforme en leurre qui occulte la relation de soumission de ces filles au regard et jugement du spectateur.
Les femmes dans la société patriarcale deviennent facilement des objets passifs en tant qu’« être vus » en intégrant cette idée[12]. L'accent intentionnel mis sur leurs aspirations et sur l’esprit compétitif de chaque candidate de cette audition fait oublier aux téléspectateurs que le regard masculin du public exerce son pouvoir sur les filles. C'est pourquoi, même si elles chantent « Nous sommes des filles qui rêvent », ce ne sont pas « les rêves des filles » qui attirent l'attention du public. C'est plutôt la naissance d'une fille de rêve qui satisfera l'imagination du public qui attend la représentation stéréotypée d’une fille issue de l’imaginaire masculin.
Il faut souligner l'utilisation du terme « Girl-Group » car l'image voulue par les producteurs de K-Pop n'est pas « femme », mais plutôt « fille »[13]. Ils limitent l'identité du groupe féminin aux « filles ». Ces filles sont des femmes avant de devenir adultes. Il s'agit d'un concept ambigu et double situé à la frontière entre hommes et femmes, nourrissons et adultes. Les « filles » deviennent un objet de désir pour les hommes, et un objet d'auto-identification pour les femmes. Les producteurs de K-pop évitent l'objectivation sexuelle explicite, en sélectionnant stratégiquement l'image d'une fille en tant que sœur ou une nièce et non en tant que femme adulte et séduisante. Cette stratégie leur permet d'éviter le jugement de la société pour la commercialisation du sexe.
Chizuko Ueno[14] constate que la société masculine divise la gent féminine en seulement deux catégories ou fonctions : la femme pour satisfaire le besoin animal de reproduction (génération) et la femme pour satisfaire la libido[15]. Ces deux concepts sont des confrontations binaires. Et sous la direction d'un planificateur masculin, le groupe féminin K-Pop choisit l'image d'une vierge innocente et en bonne santé afin de répondre à l’imaginaire masculin concernant la reproduction. Le processus de construction de cette image visuelle est un travail distinct de la création telle que la composition et l'enregistrement. Et ceux dirigeant le processus de création d'images des filles sont principalement des planificateurs masculins.
Ce processus de production s’affiche comme le critère le plus important qui distingue les groupes de filles dans les années deux mille et pour les générations précédentes en Corée. En effet, l'histoire des groupes de musique populaire féminins en Corée a commencé dès les années cinquante. Néanmoins, à partir du nouveau millénaire, lorsque la musique populaire a commencé à s'industrialiser avec la consommation et le capitalisme, les modalités des activités musicales ont considérablement changé.[16] En effet, comme il devient possible de produire des Idoles planifiées à grande échelle et basées sur le pouvoir capitalistique, les producteurs engagent d’énormes fonds dans la création de l'image de ces filles.
Les filles sélectionnées par le biais d’une audition rigoureuse doivent suivre une longue formation avant leur éclosion. Cette phase d’apprentissage peut s’étaler sur trois à cinq années, mais de nombreux groupes se préparent sur une durée allant jusqu’à sept ou huit ans, voire plus encore. Durant cette longue période, les apprenties, en internat, vivent dans des dortoirs loin de leur famille et suivent des cours de chant et de danse durant la journée. Des règles strictes y sont appliquées comme l’interdiction des téléphones portables ; les internes n'ont plus de vie privée. Cette formation systématique, rigoureuse et ponctuée par de nombreux tests hebdomadaires devient très sélective. Les apprenties n’atteignant pas le niveau requis sont éliminées et exclues sur le champ. Les filles sont pesées tous les jours, leur apparence vérifiée et tout ce qu'elles mangent pendant la journée est très surveillé.[17]
Après leurs débuts, leurs informations personnelles comme leurs mensurations, sont révélées au public via le site internet officiel ou de manière informelle[18]. En effet, les produits fabriqués par l'agence ne sont pas uniquement musicaux, c’est aussi un ensemble d’« images» de filles.[19] Avec ce système intrusif qui veut tout contrôler, gérant même l'apparence et l'intimité des individus, il est difficile pour ces jeunes artistes de créer de la musique avec leur propre identité en dehors de l’influence dictatoriale de l'agence[20].
Ce processus s'applique également aux idoles masculines avec toutefois, pour ces derniers, la possibilité de participer au processus créatif des chansons. D’ailleurs, après leur retraite en tant que chanteurs, souvent ils continuent à travailler en tant que producteurs.[21]
Aussi, le public ne prêt que peu d'attention aux processus de création artistique excepté pour celui de l'enregistrement de chansons et de danses pour les idoles féminines. Ainsi, les médias, en mettant l’accent sur le personnalité et le physique tels que «mignonne», «claire» et «douce» comme caractéristiques personnelles des membres du groupe de filles, et ne révélant que rarement leurs capacités créatives en tant qu'artistes, prennent le relais de l’agence et vont dans le sens des goûts du public.
II. Phénomène de fandom unique
La K-Pop est un phénomène qui forme un fandom ou base de fans unique. Notamment le fandom des groupes de filles semble largement divisé en deux catégories : les fans masculins seniors, ou « les oncle fans (Samchon Fans) » et la foule de filles qui adorent les Girl-group et imitent leur image. L'apparition du groupe des ‘oncles fans’ a été mentionné à plusieurs reprises par des chercheurs au sujet de la musique pop coréenne.
Oncles fans comme pseudo familialisme
La commercialisation de l’image des jeunes filles pour favoriser le succès d’un groupe de filles ciblant l’hétérosexualité d’hommes adultes envers des mineurs a suscité de vives critiques ainsi qu’un débat sur la moralité et la normalité des fans masculins de K-Pop. Dans ce contexte, l'auto qualification des fans masculins en qualité d’« oncles» pour introduire un concept familial dans ce fandom supprime effectivement la sexualité et s’avance comme une défense contre la critique sociale.[22] En effet, ces consommateurs masculins adultes veulent justifier leur attirance envers ces filles mineures selon une catégorie universelle socialement acceptable. Afin de satisfaire ces demandes contradictoires des consommateurs, le groupe de filles comme SNSD (Girls’ Generation) ne révèle stratégiquement pas explicitement des éléments à caractère sexuel dans leurs chansons et costumes. Ainsi ces stratégies réciproques et équivoques entretiennent le flou et justifient l’argument d’« oncles fans » disant : « Nous soutenons simplement les rêves des filles comme le feraient des oncles. » Ainsi, ils cachent leurs désirs en se positionnant comme des membres de leur famille qui, de ce fait, ne peuvent avoir de relations sexuelles avec ces filles.
K-girl groupe et K-beauty
Contrairement aux oncles fans dissimulant leur désir au nom d’un « soutien familial », les fans féminins s'identifient directement aux idoles en les imitant. Elles consomment non seulement les images artificielles de ces filles, mais aussi les assimilent à une certaine forme d’universalité au sujet des types de femmes socialement acceptables.
Chris Shilling[23] explique dans son livre «The Body and Social Theory» le changement de perception du corps dans la société moderne : La société moderne préfère un corps jeune, mince et sexuellement désirable. Cette perception s'étend à l'idée du corps assimilé à un objet d'investissement, comme une forme de capital, et qu’il est possible de contrôler, de sculpter et de remodeler par l'exercice ou la chirurgie esthétique.[24] L’agence de K-Pop répond aux attentes des consommateurs modernes en manipulant les corps des filles pour obtenir les retombées économiques souhaitées.
Si l'image d'un groupe de filles est née par le désir des consommateurs masculins, l'image demeure à nouveau évaluée à travers les réseaux sociaux sur internet et amorce le débat sur leur apparence physique en parlant de leur taille, leur poids et leur couleur de peau. Ce discours affecte à nouveau le corps de la célébrité en retour, et une commercialisation plus approfondie du corps se produit. Et les images retravaillées à plusieurs reprises grâce à des retouches deviennent plus réelles que les femmes elles-mêmes. Cela rappelle le « Simulacre »[25] revendiqué par Jean Baudrillard : le phénomène dans lequel l'image parfaite d’une femme qui n’existe pas, devient surréaliste dans le sens de plus réel que le réel. L'image d'une femme qui domine la société moderne même si elle n'existe pas, affecte les vraies femmes et insuffle un message selon lequel le corps doit être remodelé selon cette image. Ainsi, de nombreux fans féminins de K-Pop perdent du poids, portent le même type de maquillage et changent de visage avec la chirurgie esthétique pour atteindre l'image d'une femme parfaite[26]. Dans ce contexte, ce n'est pas un hasard si l'industrie coréenne de la chirurgie esthétique et l'industrie cosmétique se développent parallèlement à la tendance K-Pop.
Un piéton passe devant une annonce pour une clinique de chirurgie esthétique dans une station de métro de Séoul en 2014.
Jung Yeon-Je/AFP/Getty Images
III. Idolâtrie de la femme et misogynie
Les jeunes et belles images de Girl-group de K-Pop ne sont pas le résultat de la libération de la condition féminine. Malgré leur splendeur et leur air libéré, elles obéissent à des obligations socialement imposées. Et dès que ces filles s’écartent de ces carcans, de ce modèle obligatoire, elles deviennent immédiatement des cibles sur lesquelles se dirigent la haine du public. Comment peut-on expliquer cette volte-face du public qui jusqu’alors les aimait, les admirait ?
L’image de la femme en tant qu’objet sexuel se présente comme la raison première de l’opinion versatile du public. Et plus les hommes considèrent les femmes comme des objets sexuels, plus ils dépendent de ces femmes pour satisfaire leurs désirs. Ils méprisent les femmes en les poursuivant, et poursuivent les femmes en les méprisant.[27]
Selon Chizuko Ueno, l'idolâtrie des femmes et la misogynie sont inextricablement liées. C'est parce que l'idolâtrie et la haine appartiennent à la même catégorie en termes de résultat de l'altération de la sexualité des femmes selon la vision masculine. La division de la gent féminine en mères et prostituées (ou saintes et prostituées) est un exemple typique de définition de la sexualité féminine uniquement dans les relations avec les hommes.[28] L'occurrence fréquente et simultanée de l'adoration et de la haine révèle que cette distinction masculine (sainte ou prostituée) pour les femmes et ce double sentiment qui en résulte sont très répandus dans la société.
« L’humilitainment »[29] est un nouveau concept de divertissement créé à partir de ces doubles sentiments. Le public admire et imite les célébrités, mais en même temps les voit embarrassées dans les émissions de variétés et ressent un autre niveau de joie. Le public veut voir la magnifique scène d'une belle chanteuse tout en la désirant inconsciemment ridiculisée exposant son visage naturel, cru et sans maquillage.
Steve Cross et Jo Littler interprètent ce sentiment comme « SCHADENFREUDE »[30] pour la célébrité. Le public perçoit les célébrités comme « des êtres qui doivent tomber un jour ». Parce qu'ils pensent que l'augmentation de la valeur d'échange des célébrités n'est pas due à leur capacité supérieure, mais au hasard[31]. Quand une femme se tient sur scène avec une silhouette presque parfaite, le regard masculin ressent un plaisir visuel, mais qui demeure inconfortable. Cette femme qui, auparavant, existait en tant que possession semble maintenant accomplir quelque chose d'elle-même ; afin de soulager son inconfort, le regard masculin rejette cette artiste féminine comme devenant accidentellement célèbre.
Dans ce contexte, la mort des deux stars Sulli et Hara Gu est diagnostiquée non seulement comme un problème d'inconscience des internautes, mais aussi comme un problème du regard de notre société sur la gent féminine et les normes qu’elle exige.
Sulli, qui était membre du groupe de filles FX, a élargi son champ d'activité au cinéma et au mannequinat en travaillant en solo après la dissolution du groupe. Par ce procédé, sa vie personnelle, comme son amour, ont souvent été révélés au grand public par les paparazzi. Pour les idoles féminines, les fréquentations sont implicitement taboues. Cependant, lorsqu'il a été révélé qu'elle avait enfreint la norme et rencontré son amant, le public autrefois fan, se change en un anti-fan. Ses fans l’aimant et la soutenant comme une jeune sœur, ont rapidement changé d'attitude pour la détester.
Lorsqu'une idole féminine s’écarte de l’image de pureté de vierge attribuée par le public, celui-ci la range automatiquement dans l’autre cadre, celui d’une femme légère ou libertine, ou encore d’une prostituée. Le cas de Hara Goo, ancienne membre du groupe KARA dont la vie privée a été exposée, a fait l'objet de vifs reproches pour la même raison. Cependant, elles n'ont jamais menti pour se faire passer pour des filles innocentes, et on n'a pas non plus découvert qu'elles étaient des prostituées. C'étaient juste des femmes ordinaires que le regard masculin de la société enfermait dans l'image de pureté ou de décadence.
Conclusion
D’une part, les Girl groups de K-Pop demeurent des produits conçus par les désirs des hommes, sous la direction dominante de la gent masculine, et d’un point de vue viril. D’autre part, leurs chansons chantées en groupe unissent le public féminin créant de la solidarité de ce fait.
Dans un documentaire sur BLACKPINK, le groupe de filles K-Pop le plus influent aujourd'hui, la scène où Rosé chante en jouant seule de la guitare au milieu de la nuit nous rappelle qu'elle n'est ni une icône ni une star, mais une musicienne. Elle parle dans ce documentaire :
« Tout rentre dans l’ordre quand je chante. Parfois, la période de formation me manque. En formation, on était tout le temps enveloppés de musique.
Maintenant, on a beaucoup de travail, et je dois réserver du temps. C’est toujours la nuit, quand il faudra dormir….
Au début, je ne savais pas ce qui m’attendait. Je pensais que ce serait excitant et amusant. J’ai vécu ça avec l’impression de ne plus avoir de vie à moi. Comme s’il y avait un grand trou dans ma vie.
Je vivais pour le concert du lendemain. J’adore la scène , c’est là que je me sens vivante. Mais en rentrant à l’hôtel, je me sentais vide.. » [32]
Tous les musicien.ne.s, quel que soit le genre, veulent faire de la musique qui découle de leur identité. Il en va de même pour les musicien.ne.s de K-Pop.
Bibliographie
SUWAN LEE (2016). K-Pop : a Peculiar Encounter of Korean and Pop Music - Inquiry into K-Pop’s Korean Authenticity. Journal of Humanities, Seoul National University, 73(1), 77‑103.
KOFICE (Korean Foundation for International Cultural Exchange), 2019 Hallyu Paeksŏ.
Cho, B.-C., & Sim, H. (2013). Sucess Factor Analysis of K-POP and A Study on sustainable Korean Wave - Focus on Smart Media based on Realistic Contents. The Journal of the Korea Contents Association, 13(5), 90‑102.
Y.S JEONG. Adventure in ‘Girl Group’ world: Survival in the Risk Societ.Korean Journal of Popular Music , (8), 2011.11, 99-125
UENO CHIZUKO (2010). 女ぎらい - ニッポンのミソジニー. 紀伊國屋書店.
Seungheum BAEK. (2010). Breach of Privacy and Entertainer. , 13(4), 275-287.
Lee.H.Y (2017) A Study on the Trend of the Branded Girls’ Image in Korean Idol Music Industry. Seoul National University.
Seung-Hyun CHO (2014) A Study about Differentiated Strategies and Limits of KPOP - Focusing on Group named 'Orange Caramel', 'Crayon Pop'
Soo-Ah KIM (2010) The Construction of Cultural Consumption Way: The Discourse of Uncle Fans with the Girl-Idol Group. Media, Gender & Culture
Shilling, C. (1993) The Body and Social Theory(the second edition). London: Sage, 2003(1993).
Jean Baudrillard (1981) Simulacres et simulation. Edition Galilée.
I.K JEONG (2015) Beyond otherization, communication between two different subjects. The Journal of Asian Women. 2015;54(2):219-227.
Steve Cross; Jo Littler. CELEBRITY AND SCHADENFREUDE (2015)
The cultural economy of fame in freefall. Published in: Cultural Studies, Volume 24, Issue 3 May 2010, pages 395 - 417
[7] Cho, B.-C., & Sim, H. (2013). Sucess Factor Analysis of K-POP and A Study on sustainable Korean Wave - Focus on Smart Media based on Realistic Contents. The Journal of the Korea Contents Association, 13(5), 90‑102. https://doi.org/10.5392/jkca.2013.13.05.090
[9] Lisa, aussi connue sous le nom Lalisa Manoban est une chanteuse thaïlandaise fait partie du girls-group sud-coréen BLACK PINK. Elle est l'unique personne acceptée en Thaïlande lors de l'audition du label sud-coréen YG Entertainment qui réunit 4000 candidats.
[10] « Blackpink: Light Up the Sky » film réalisé par Caroline Suh, 2020.
[11] Le producteur de PRODUCE 101 a été accusé de manipulation du vote des téléspectateurs et a été condamné à deux ans d'emprisonnement. Et il s'est avéré que certains labels étaient impliqués dans cette manipulation du vote.
[12] « Le sujet moderne utilise non seulement des méthodes telles que l'exclusion, l'exil, l'emprisonnement et l'inclusion, mais forme aussi un réseau de romantisme fictif pour construire l'autre et imprimer le fantasme du sujet sur le corps de l'autre. » Y.S JEONG. Adventure in ‘Girl Group’ world : Survival in the Risk Societ.Korean Journal of Popular Music , (8), 2011.11, 99-125
[13] Y.S JEONG. Adventure in ‘Girl Group’ world : Survival in the Risk Society. Koren Journal of Popular Music , (8), (2011): 99-125
[15] Ueno, C. (2010). 女ぎらい - ニッポンのミソジニー. 紀伊國屋書店. (La misogynie au Japon)
[16] Le premier groupe pop féminin en Corée était les « Jeogori Sisters » en 1935, mais elles n'ont pas sorti d'album. Seules les photos et vidéos des performances scéniques demeurent. Le premier groupe pop féminin, formé en 1951, ayant sorti des albums et diffusé est les « Kim Sisters ». Comme c'était juste après la guerre de Corée, il régnait un profond désir pour la culture américaine en général dans la société coréenne. Les « Kim Sisters » sont apparues 22 fois dans le « Ed Sullivan Show » de CBS TV aux États-Unis.
Danielle Seid, 60 years before BTS, the Kim Sisters were America's original K-pop stars, The World, 09/05/2019
[18] « Nowadays, however, the internet is growing at a rate that outpaces any modern medium of communication in collecting and processing personal information. Especially, the infringement of personal information on Entertainer such as sports player, actor, racing girl etc. is constantly emerging with technologic development. »Seungheum Baek. (2010). Breach of Privacy and Entertainer. , 13(4), 275-287.
[19] “ ...L'industrie musicale existante produisait de la musique en tant que produit basé sur un médium auditif, l'industrie des idoles considère l'image externe visible plutôt que l'élément auditif comme un produit important. ” Lee.H.Y. A Study on the Trend of the Branded Girls’ Image in Korean Idol Music Industry. 02/2017. Seoul National University.
[20] “ ...La plupart des groupes d'idols appartiennent à leur agence et reçoivent une formation pendant des années dès leur plus jeune âge, et dans la plupart des cas, ils ne font pas d'activités créatives telles que l'écriture de paroles ou de composition. C'est pourquoi il n'est pas raisonnable d'exiger une personnalité unique dans leur musique.”
Seung-Hyun Cho. A Study about Differentiated Strategies and Limits of KPOP - Focusing on Group named 'Orange Caramel', 'Crayon Pop' -. 한국산학기술학회 학술대회논문집. 2014;():610-612.
[21] Les PDG de SM, JYP et YG Entertainment, les 3 plus grandes agences de Corée, sont tous des chanteurs. Les productrices qui étaient membres d'un groupe de filles sont rares.
[22] Soo-Ah Kim. The Construction of Cultural Consumption Way: The Discourse of Uncle Fans with the Girl-Idol Group. Media, Gender & Culture (15), 2010.9, 79-119(42 pages)
[23] Chris Shilling. professeur de sociologie /University of Kent
[24] Shilling, C., The Body and Social Theory(the second edition). London: Sage, 2003(1993).
[25] Jean Baudrillard. Simulacres et simulation. Edition Galilée. 1981
[27].Jeong.I.K. Beyond otherization, communication between two different subjects. The Journal of Asian Women. 2015;54(2):219-227.
[28] Marie-Madeleine, la prostituée, colle au dos de la Vierge Marie. Ce ne serait pas un hasard si les deux partagent le même nom Maria. Il est inévitable que les hommes eux-mêmes soient dupés par les doubles normes de sexe des hommes qui divisaient les femmes en «femmes destinées à la reproduction» et «femmes uniquement pour le plaisir». Chizuko Ueno. 女ぎらい: ニッポンのミソジニー(Misogynie japonaise).2010.
[29]Un terme inventé par les spécialistes des médias Brad Waite et Sara Booker «humilitainment» fait référence à la tendance des téléspectateurs à prendre plaisir à l'humiliation, la souffrance et la douleur de quelqu'un d'autre.
Richard H. Smith. Joy in Another's Shame: Humilitainment Anyone?. Mar 16, 2014. Psychology today
Comments